Interview de Guilhèm Becvort, Senior Associate, Avocat, Allen & Overy

1- D’où vient la directive ATAD 2 ?

La directive ATAD 2[1] consiste en une modification et un élargissement des règles anti-hybrides telles que récemment introduites par la directive ATAD 1[2]. En effet, ces nouvelles règles viennent notamment étendre le champ d’application tant matériel que géographique des règles anti-hybrides précédemment introduites sous ATAD 1.

Si l’on s’intéresse plus largement à la genèse de ces directives, on observe que ces dernières font partie des répliques du séisme provoqué par la crise économique de 2008 et ont pour épicentre l’ensemble des travaux menés par l’OCDE en matière de lutte contre l’érosion de la base imposable et le transfert de bénéfices (plus connus sous le nom de « rapport BEPS »). En matière de règles anti-hybrides, il convient de noter que la principale source d’inspiration provient des résultats des travaux sous l’action 2 du rapport BEPS visant à « Neutraliser les effets des dispositifs hybrides ».

Là où ATAD 1 contenait cinq grand thèmes allant de la limitation de la déductibilité des surcoûts d’emprunts à l’imposition à la sortie (« exit tax« ) en passant par les dispositions anti-hybrides, ATAD 2, elle, se concentre sur les dispositifs anti-hybrides. Ainsi, ATAD 2 vient remplacer les règles anti-hybrides d’ATAD 1 (i) en étendant le champ d’application de ces règles aux Etats tiers à l’Union européenne et (ii) en visant de nouvelles catégories de dispositifs hybrides.

2- Que prévoit maintenant la directive ATAD 2 ?

Le but des règles anti-hybrides est de s’attaquer aux asymétries résultant de l’hybridité d’un instrument ou d’une entité. Ce type d’asymétrie peut se produire dans un contexte transfrontalier et aura pour effet de produire un avantage fiscal consistant en une double déduction d’une même charge ou en une déduction d’une charge sans inclusion correspondante d’un revenu. Ces asymétries résultent d’une interprétation discordante par les législations fiscales de deux Etats différents d’un même instrument ou d’une même entité.

ATAD 2 prévoit l’application des règles anti-hybrides en cas d’asymétrie entre (i) le contribuable et une entreprise associée, (ii) le siège et son établissement stable ou (iii) en cas de dispositif structuré entre les parties. Concernant les relations entre « le contribuable et une entreprise associée », il est intéressant de noter qu’ATAD 2 fait référence à un concept jusqu’alors absent des règles d’ATAD 1: le concept de « personnes agissant conjointement ».

Les règles anti-hybrides ainsi introduites par ATAD 2 vont alors trouver à s’appliquer si certains seuils sont remplis en matière de droit de vote, de participation au capital ou de droit aux bénéfices. Ces seuils s’établissent respectivement à 25% ou 50% selon que l’on se place dans le cas d’un instrument financier hybride ou d’une entité hybride.

Enfin, la directive ATAD 2 a été transposée au Luxembourg par une loi du 20 décembre 2019 qui est en application depuis le 1er janvier 2020.

3- Si nous devions résumer, un effet d’asymétrie en matière fiscale doit s’entendre comme une double déduction ou une déduction sans inclusion. Quelles sont maintenant les différentes règles anti-hybrides applicables depuis le 1er janvier 2020 ?

Les règles en vigueur depuis le 1er janvier 2020 concernent quatre catégories de dispositifs hybrides:

  • les dispositifs hybrides qui résultent de paiements effectués dans le cadre d’un instrument financier (y compris les transferts hybrides) ;
  • les dispositifs hybrides qui sont la conséquence de différences dans l’attribution des paiements effectués à une entité hybride ou à un établissement stable (y compris du fait de paiements à un établissement stable non pris en compte) ;
  • les dispositifs hybrides qui résultent de paiements effectués par une entité hybride à son propriétaire ou de paiements réputés effectués entre le siège et l’établissement stable ou entre deux établissements stables ou plus d’une même société ; et
  • les effets de double déduction qui résultent de paiements effectués par une entité hybride ou un établissement stable.

En plus de ces règles, une règle relative aux dispositifs hybrides inversés[3] trouvera à s’appliquer à partir du 1er janvier 2022.

4- Quel est l’impact à Luxembourg et quels sont les principaux enjeux soulevés par cette transposition d’ATAD 2 par le Luxembourg ?

Tout d’abord, l’extension du champ d’application des règles anti-hybrides tant d’un point de vue territorial que matériel doit amener les contribuables à un réel travail d’introspection sur leurs structures existantes et les façons dont celles-ci sont financées. « Doit-on restructurer telle ou telle structure existante ? », « doit-on modifier ou remplacer tel ou tel instrument financier utilisé dans un contexte intra-groupe ? » sont des questions que chacun doit et sera amené à se poser.

Ce travail d’analyse doit également être réalisé pour les nouvelles structures mises en place par les contribuables qui doivent maintenant structurer leurs opérations à l’aune de l’application de ces nouvelles règles (ou futures règles pour ce qui est de dispositifs hybrides inversés).

« Paiement sous un instrument hybride », « paiement par une entité hybride », « paiement à une entité hybride », « double déduction pour paiement effectué par une entité hybride » ou encore « dispositifs hybrides inversés » sont tant de termes et de concepts ésotériques avec lesquels il convient de se familiariser afin d’être en mesure de s’adapter au mieux à ces nouveaux enjeux soulevés par ATAD 2.

Enfin, il convient de rappeler que ces règles sont applicables entre entreprises associées. Le concept « d’action conjointe » permet ainsi de regrouper différentes parties qui apparaîtraient de prime abord comme non liées mais qui pourraient néanmoins être considérées comme liées dans le cadre de l’application des règles ATAD 2.

Ce concept fut notamment source d’inquiétude dans un contexte de fonds d’investissement où se posait la question de savoir si des investisseurs distincts pouvaient être considérés comme agissant conjointement dans le cadre de leurs investissements.

La transposition d’ATAD 2 par le Luxembourg prévoit une présomption simple disposant qu’ « une personne physique ou un organisme qui détient, directement ou indirectement, moins de 10 pour cent des titres ou des parts dans un fonds d’investissement, et qui est en droit de recevoir moins de 10 pour cent des bénéfices de ce fonds d’investissement, est considéré, sauf preuve contraire, ne pas agir conjointement […] avec une autre personne physique ou un autre organisme détenant des titres ou des parts dans ce même fonds d’investissement ». Cette présomption prévue par le législateur luxembourgeois adoptant une approche économique pragmatique devrait dès lors permettre d’écarter dans un grand nombre de cas l’application des règles anti-hybrides dans un contexte de fonds d’investissements.

5- En conclusion, quel est votre conseil général à prodiguer aux contribuables dans le cadre de l’application de ces nouvelles règles résultant de la transposition d’ATAD 2?

Tout d’abord, il convient aux contribuables d’analyser comment ces règles doivent être appréhendées vis-à-vis des structures existantes ou des projets à venir au regard du droit luxembourgeois mais aussi du droit étranger.

Il convient ensuite de prendre en considération l’application de ces règles pour l’avenir dans les structures nouvellement mises en place ou ayant fait l’objet d’une restructuration suite à la phase d’analyse.

Enfin, il convient de suivre attentivement les évolutions pratiques que vont entraîner l’application de ces règles (modalités et charge de la preuve en matière d’action conjointe, suivi auprès des investisseurs, etc.).

Pour ce faire, un excellent moyen peut consister à assister à la conférence « Actualité comptable, juridique et fiscale 2020 » le 2 avril prochain où ces thèmes seront largement abordés !

Retrouvez Guilhèm BECVORT lors du rendez-vous annuel ‘Actualité comptable, fiscale et sociale 2020’ le 2 avril 2020 à Luxembourg


[1] Directive UE 2017/952 du 29 mai 2017

[2] Directive UE 2016/1164 du 12 juillet 2016

[3] Un organisme hybride inversé est un organisme qui est considéré comme transparent selon la juridiction dans laquelle il est établi et qui est considéré comme opaque dans la juridiction d’un ou plusieurs de ses investisseurs.