La fiscalité des droits intellectuels au Luxembourg : évolutions récentes et perspectives d’avenir

Denis-Emmanuel Philippe
Avocat aux barreaux de Bruxelles et de Luxembourg
Bloom Law
Maître de conférences – ULg

Denis-Emmanuel Philippe intervient dans le cadre de la conférence La fiscalité des droits intellectuels du 10 mars 2016 à Luxembourg.

Les sociétés luxembourgeoises sont en principe soumises à l’impôt sur le revenu des collectivités (ci-après « IRC ») de 21 % majoré par une contribution au fond pour l’emploi égale à 7% de l’IRC, et à l’impôt commercial communal (ci-après « ICC ») de 6.75% à Luxembourg ville. Le taux global d’imposition combiné s’élève ainsi à 29.22%.

I. Régime d’exonération partielle des revenus de droits intellectuels

Les sociétés luxembourgeoises sont en principe soumises à l’impôt sur le revenu des collectivités (ci-après « IRC ») de 21 % majoré par une contribution au fond pour l’emploi égale à 7% de l’IRC, et à l’impôt commercial communal (ci-après « ICC ») de 6.75% à Luxembourg ville. Le taux global d’imposition combiné s’élève ainsi à 29.22%.Les sociétés luxembourgeoises détenant des droits de propriété intellectuelle (ci-après, « LuxIPCo ») bénéficient d’un régime d’exonération spécifique (ci-après, « Régime IP »), régi par l’article 50bis de la loi concernant l’impôt sur les revenus (« LIR »).

Le Régime IP luxembourgeois autorise les LuxIPCo à bénéficier d’une exonération de 80% des (i) revenus de droits intellectuels et (ii) des plus-values de cessions de droits intellectuels,  à certaines conditions. L’application de ce régime aboutit à un taux d’imposition effectif des revenus de droit intellectuels de 5,84% (29,22% * 20%).

Le Régime IP couvre une palette variée de droits de propriété intellectuelle: les droits d’auteurs sur logiciels informatiques, les brevets, les marques de fabrique ou de commerce, les noms de domaine et les dessins ou modèles. Sont exclus :le savoir-faire (know how), les droits d’auteur sur une œuvre littéraire, artistique ou scientifique, y compris les films cinématographiques; les plans, formules et procédés secrets, etc.

Le Régime IP s’applique en cas d’acquisition ou de constitution de droits intellectuels éligibles par la LuxIPCo. Il est remarquable de constater que l’application du Régime IP n’est pas subordonnée à une condition de développement (ou d’amélioration) des droits intellectuels dans un centre de recherche.

Le Régime IP est assorti d’une série de mesures anti-abus. En pratique, celles-ci peuvent être toutefois aisément désactivées. Ainsi, le Régime IP est exclu si la LuxIPCo acquiert le droit de propriété intellectuelle auprès d’une « société associée », c’est-à-dire :

–           d’une société filiale (participation d’au moins 10%)
–           d’une société sœur (société ayant une mère commune qui détient au moins 10% du capital des deux sociétés) ou
–           d’une société mère (participation d’au moins 10%)

Ceci étant dit, le lien de parenté doit être « direct » : les relations « indirectes » ne sont pas ciblées par la mesure anti-abus. En outre, si le droit de propriété intellectuelle est apporté à une nouvelle société luxembourgeoise, la mesure anti-abus ne joue pas (car, avant l’apport, les sociétés ne sont pas encore « associées »).

II. Abolition du Régime IP existant (Loi du 18 décembre 2015)

Afin de donner suite à l’accord qui a été trouvé fin 2014 tant sur le plan de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (« OCDE ») que sur le plan de l’Union européenne pour l’approche du lien modifiée (nexus approach) pour les régimes de propriété intellectuelle, une loi luxembourgeoise du 18 décembre 2015[1]  prévoit d’abroger le Régime IP à compter du 1er juillet 2016.Cette loi prévoit toutefois un maintien temporaire du Régime IP et certaines mesures de sauvegarde.

III. Régime transitoire : maintien temporaire du Régime IP

En vertu de l’accord international, les régimes fiscaux de propriété intellectuelle qui ne sont pas en ligne avec la nouvelle approche du lien modifiée (à l’instar du Régime IP luxembourgeois) peuvent être maintenus de manière temporaire pendant une période transitoire commençant le 1er juillet 2016 et expirant le 30 juin 2021.La loi du 18 décembre 2015 prévoit ainsi logiquement l’application du Régime IP, pendant une période transitoire commençant le 1er juillet 2016 et expirant le 30 juin 2021, sur les droits de propriété intellectuels éligibles constitués ou acquis avant le 1er juillet 2016, y compris les améliorations afférentes sous condition d’avoir été achevées avant le 1er juillet 2016[2].

Il se dégage de ce qui précède que les LuxIPCos ayant constitué ou acquis des droits de propriété intellectuelle éligibles avant le 1er juillet 2016, pourront bénéficier du Régime IP, pendant une période transitoire commençant le 1er juillet 2016 et expirant en principe le 30 juin 2021.

Exemple : une société belge a apporté une marque à une nouvelle LuxIPCo (lors de sa constitution) en 2015. La LuxIPCo pourra en principe bénéficier du Régime IP jusqu’au 30 juin 2021.

IV. Mesure de sauvegarde : acquisitions de parties liées

La loi du 18 décembre 2015 restreint la durée de la mesure transitoire en mettant en place certaines mesures de sauvegarde. Celles-ci visent à atténuer le risque que des personnes cherchent à accéder « abusivement » au bénéfice du Régime IP. On retiendra en particulier que, s’agissant des acquisitions de droits de propriété intellectuelle postérieures au 31 décembre 2015, l’application du Régime IP est en principe exclue si les droits ont été acquis d’une entreprise (directement ou indirectement) liée.Exemple : une société belge vend à sa petite-fille luxembourgeoise (LuxIPCo) une marque, dans le courant du mois de janvier 2016. La LuxIPCo ne pourra en principe pas bénéficier du Régime IP existant.

V. Perspectives d’avenir

Le Luxembourg n’a pas encore mis en œuvre l’approche du lien modifiée (“nexus approach”), malgré les déclarations du ministre des Finances luxembourgeois en ce sens[3]. Le rapport final de l’OCDE sur l’Action 5 du Plan d’action BEPS (« Base erosion and profit shifting ») détaillant l’approche du lien modifiée pour les régimes de propriété intellectuelle, a été publié le 5 octobre 2015. Il est très vraisemblable qu’un nouveau régime IP luxembourgeois, conforme à l’approche du lien modifiée, sera prochainement instauré.Suivant cette approche du lien modifiée, l’existence d’une activité économique substantielle joue un rôle prépondérant. Plus concrètement, les revenus générés par des droits de propriété intellectuelle peuvent seulement bénéficier d’un régime de faveur, dans la mesure où des frais de recherche et développement (R&D) sont supportés par la LuxIPCo. La mise en œuvre de cette approche du lien modifiée impliquera vraisemblablement la fin du régime IP luxembourgeois pour les revenus de marques.

VI. Apports cachés d’actifs immatériels

Le Régime IP ne doit pas être confondu avec un autre système d’optimisation fiscale en matière de droits de propriété intellectuelle : l’apport caché. Nous renvoyons à cet égard à notre précédente chronique[4].

[1] Loi du 18 décembre 2015 concernant le budget des recettes et des dépenses de l’Etat pour l’exercice 2016, Mémorial A, n°242, 23 décembre 2015, p. 5385.
[2] Art. 5, (2) de la loi du 18 décembre 2015.
[3] Déclaration du 3 mars 2015.
[4]http://www.bloom-law.be/fr/actualite/nieuws/5198/luxleaks—la-saga-des-rulings-octroyes-par-le-fisc-luxembourgeois-a-des-residents-belges-en-matiere-dapports-caches-dactifs-immateriels

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