Pour augmenter la productivité, laissez plus de salariés travailler de chez eux

L’étude : Le professeur d’économie Nicholas Bloom et James Liang, étudiant diplômé qui est également co-fondateur de l’agence de voyages en ligne chinoise Ctrip, ont proposé au personnel volontaire du call center de Ctrip de travailler à domicile pendant neuf mois. La moitié des volontaires ont obtenu l’autorisation detélétravailler, tandis que les autres restaient assignés au bureau comme groupe référent. Au terme de l’étude, les réponses aux questionnaires et le recueil détaillé des performances des uns et des autres ont révélé que les travailleurs à domicile se sentaient plus heureux et plus attachés à l’entreprise que ceux qui allaient au bureau. Et surtout, qu’ils se montraient plus productifs.

Le challenge : Devrions-nous être plus nombreux à travailler en pyjama ? Les performances des employés seraient-elles vraiment meilleures si les entreprises les autorisaient à rester à la maison ?

 

Professeur Bloom, défendez votre recherche.

 

Nicholas Bloom : Les résultats que nous avons mis en évidence chez Ctrip m’ont soufflé. Ctrip pensait pouvoir faire des économies d’espace et de mobilier en envoyant les gens travailler chez eux. Ces économies auraient permis de compenser une chute prévisible de la productivité liée au manque d’encadrement et de discipline loin de l’environnement professionnel. Or, nous avons constaté que les gens travaillant à leur ­domicile parvenaient à obtenir 13,5% de contacts téléphoniques en plus que les salariés restés dans les locaux de l’entreprise. Ce qui signifiait que les télétravailleurs effectuaient presque un jour de travail hebdomadaire supplémentaire pour le compte de Ctrip. Ce n’est pas tout : ils démissionnaient deux fois moins fréquemment que leurs ­collègues basés dans les locaux de la société. Enfin, comme on pouvait s’y ­attendre, les travailleurs à domicile se ­montraient nettement plus satisfaits de leur activité.

 

Harvard Business Review : Et quelles économies Ctrip a-t-elle réalisées sur le mobilier et les locaux ?

L’entreprise estime avoir économisé 1 900 dollars par employé en neuf mois.

 

Un taux d’attrition inférieur s’explique – en travaillant de chez vous, vous profitez d’une meilleure flexibilité, notamment si vous avez des enfants –, mais comment ­expliquez-vous l’augmentation de la productivité ? Pourquoi les employés en ­feraient-ils plus en étant loin du bureau ?

Nous pensons qu’un tiers de l’amélioration de la productivité découle d’un environnement de travail plus calme, et donc plus propice pour passer des appels. Par ailleurs, chez eux, les employés ne sont pas perturbés par « l’effet pause-café ». Les bureaux sont, en effet, des endroits où l’on est facilement distrait. Les deux autres tiers de la hausse de la productivité s’expliquent par le fait que les employés font de plus gros horaires à la maison. Les télétravailleurs démarraient plus tôt, prenaient des pauses plus courtes et restaient actifs jusqu’à la fin de la journée. Ils n’avaient pas à se déplacer pour se rendre au travail. Ils n’allaient pas non plus faire de courses à l’heure du déjeuner. Les salariés travaillant chez eux prenaient moins de journées maladie. Et pourtant, si vous cherchez « travailler à distance » sur le Web, il ne ressort que des réponses très négatives. On y lit que les télétravailleurs n’en font pas autant que ceux qui travaillent au bureau. Or, c’est plutôt l’inverse qui se produit.

 

Marissa Mayer s’est donc bien trompée quand elle a interdit en 2013 aux salariés de Yahoo! de travailler à domicile ?

Ce n’est pas si simple. Un grand nombre de facteurs peuvent justifier une telle interdiction, en particulier si le moral est bas dans l’entreprise. Dans ce cas, les télétravailleurs peuvent avoir tendance à se relâcher. Je rappelle que notre étude portait sur le ­travail dans un centre d’appels, une activité qu’il est facile de mesurer et d’effectuer à distance.

 

Les travailleurs savaient-ils que l’on mesurait leur productivité ? Peut-on imaginer qu’ils aient tenté de prouver que le travail à domicile fonctionnait bien, créant une forme d’état de grâce qui, une fois terminé, auraient vu leurs efforts diminuer ?

La question se pose. Ctrip a voulu le prendre en compte en menant l’expérience sur une période de neuf mois. Nous avons constaté le même impact positif du travail à domicile tout au long de cette période, ce qui laisse à penser qu’il ne s’agissait pas d’un enthousiasme passager.

 

Est-ce que les travailleurs intellectuels et les créatifs sont également plus productifs quand ils restent chez eux ?

Nous pensons que plus les tâches sont répétitives, plus les effets du télétravail sont bénéfiques. Nous devons mener de nouvelles études portant sur les métiers créatifs et le travail d’équipe. Mais les éléments ­recueillis indiquent que, pour la plupart des emplois, on peut adopter comme principe de base de laisser ses employés un ou deux jours à ­domicile. C’est excellent pour leur bien-être. Ce genre de règle facilite aussi le recrutement de nouveaux talents et réduit les départs. La compagnie aérienne JetBlue autorise ses salariés à ne travailler que trois heures au siège de la société – c’est bien ­assez pour passer de temps à autre, et permettre ainsi à l’entreprise de disposer d’un bassin d’emploi beaucoup plus large. Quand j’ai interrogé les managers de JetBlue sur cette politique, ils m’ont dit qu’elle leur servait à attirer des mères de famille possédant un bon niveau d’études et très compétentes, mais qui tenaient à une ­certaine flexibilité dans leur emploi du temps. La compagnie aérienne est persuadée que cette politique a amélioré la qualité de sa main-d’œuvre.

 

Qui d’autre opte volontiers pour le travail à domicile ?

Les personnes qui ont une vie sociale bien établie – les travailleurs plus âgés, les gens mariés, ceux qui ont des enfants. Nous avons constaté que les salariés les plus jeunes, dont la vie sociale tourne beaucoup autour de la vie de bureau, n’avaient pas ­tellement envie de travailler à domicile. ­Actuellement, les salariés qui passent un temps significatif à travailler chez eux se trouvent aux deux extrêmes de l’échelle des revenus. Il s’agit, d’une part, d’employés solitaires, payés à l’heure – comme ceux des call centers –, de correcteurs d’épreuves ou encore de développeurs, autant de collaborateurs dont la production peut facilement être suivie à distance. Et, d’autre part, de spécialistes ou de managers seniors qui, en principe, sont très motivés.

 

Y a-t-il des gens qui ne peuvent pas ou qui ne devraient pas travailler de chez eux ?

Oui, absolument. Certains n’ont ni l’envie ni la discipline pour tenter l’expérience. Chez Ctrip, le groupe de télé-travailleurs s’était autosélectionné et tous ses membres étaient motivés pour travailler à domicile. C’est une condition primordiale. Passé les neuf mois, quelques-uns des volontaires ont choisi d’arrêter le télétravail. Il s’agissait d’ailleurs des moins performants parmi les télétravailleurs. Ils ont essayé, puis réalisé que cela ne leur convenait pas. Mais l’entreprise a réussi à conserver les meilleurs et les plus motivés des travailleurs à domicile.

 

J’imagine que certains managers contes­tent les résultats de vos recherches, car il leur est plus difficile d’exercer un contrôle sur des travailleurs à distance.

C’est dans le management intermédiaire que l’on rencontre ce genre de résistance.

 

Comment peut-on surmonter les réticences ?

Ctrip désirait tenter l’expérience, parce que certains managers étaient sceptiques quant aux bienfaits de la flexibilité, y compris en termes de performance. L’entreprise voulait recueillir des éléments pour valider ses choix. Je dis toujours aux managers d’exploiter les opportunités qui se présentent naturellement. Par exemple, une occasion de mesurer la productivité à ­distance des employés s’offre à l’encadrement quand des conditions météo difficiles empêchent le personnel de venir au bureau. Toute rupture de la routine est une occasion de mesurer le degré d’efficacité du ­personnel quand il ne peut pas se déplacer.

 

Cela semble un peu chaotique. Il ne doit pas être facile de prévoir une réunion quand tous ses employés travaillent à la maison deux jours par semaine.

Il y a deux manières valables de gérer le problème : l’une est d’organiser un roulement de sorte qu’un certain pourcentage de travailleurs restent toujours au bureau. C’est la bonne façon de procéder si votre objectif est d’abord de réduire l’espace utilisé et donc les coûts immobiliers. L’autre option consiste à imposer des jours de présence obligatoire au bureau. Il n’y a ainsi aucune confusion possible quant aux moments où vous avez un contact direct avec le personnel. Chacune de ces solutions comporte des avantages et des inconvénients.

 

Je suis en train de me dire que j’aurais mieux fait de vous interviewer en sous-­vêtements, tranquillement assis devant ma table de cuisine. Peut-être l’entretien se serait-il mieux déroulé ?

Ce n’est pas parce que vous travaillez chez vous que vous ne devez pas vous habiller. La prochaine fois, réalisez donc votre interview pour la rubrique « Défendez votre ­recherche » de HBR depuis votre domicile et comparez les résultats. Rien ne vaut un essai.

 

Source: hbrfrance.fr

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